Discours du Pr Moustafa Mijiyawa à la cérémonie apothéose des 20 ans de l’Université de Kara Kara

Certaines circonstances de la vie, bien qu’habituelles, revêtent un caractère exceptionnel, en raison de la charge émotionnelle et des vibrations qu’elles induisent aux acteurs. Tel est le cas de celle qui nous rassemble aujourd’hui et à laquelle m’a mandaté le Chef de l’État de représenter le Gouvernement. Indescriptible est ainsi ma joie, dont le caractère remarquablement perceptible rend sa description superflue, d’autant plus que le sentiment y relatif est partagé par nous tous ici présents. Se trouvent ainsi relativisées les dimensions de ce cadre, rendu subitement exigu par le caractère massif du vaste individu collectif par nous constitué, mais profondément et sincèrement à l’aise, parce que mus par un idéal partagé, celui de la quête puis de la transmission du savoir. Nous sommes ainsi en phase avec le fou du roi de Soundiata Kéita, qui, en plein treizième siècle, l’empire du Mali flamboyant et rayonnant, faisait l’éloge du partage du savoir, en maudissant celui qui croit augmenter son pouvoir en refusant de partager son savoir. Je me réjouis de transmettre à toutes et à tous, les salutations fraternelles du Chef de l’État et de l’ensemble de l’Exécutif, et leur exhortation à tous, de cultiver le culte du savoir à élever au rang de religion, que sous-tendent le goût de l’effort et la détermination.

En vingt ans, l’Université de Kara a produit des résultats dont nous avons toutes les raisons d’être fiers : sept écoles et facultés avec 115 filières, formant annuellement 1800 diplômés, 19.000 étudiants aujourd’hui inscrits encadrés par 224 formateurs dont 85 de rang magistral, et 542 agents administratifs et techniques. Sont à saluer les efforts déployés par les uns et les autres afin de hisser haut le flambeau de cette université et l’amener à répondre aux normes académiques. Et comme il n’est pas décent de boire l’eau du puits en oubliant ou en minimisant l’œuvre du puisatier, nous devons rendre hommage au bâtisseur de cette institution, feu Président Gnassingbé Eyadema, dont la vision a également été à l’origine de l’ouverture en 1970 de l’Université de Lomé. De ces deux temples du savoir sont issus l’écrasante majorité des cadres dont se prévaut aujourd’hui le Togo, insérés dans le tissu de construction et de développement de notre pays, conformément aux préoccupations du Chef de l’État.

Les résultats engrangés par l’Université de Kara émanent de la conjonction d’un certain nombre de facteurs, mis en musique par des acteurs résolument engagés : les plus hautes autorités incarnés par le Chef de l’État, dont l’état d’esprit est constamment imbibé d’esprit d’État ; les présidents de cette institution, du feu Pr Agbétra au Pr Tcharié, en passant par les Prs Tchakpélé et Sanda, qui y ont fermement cru, au point d’étendre les tentacules de ce centre aux domaines des aptitudes et des attitudes ; les encadrants académiques et administratifs, convaincus qu’ils sont qu’être grand réside dans la faculté de transformer les petits en grands ; les apprenants, mus par le bon usage à faire de ce précieux organe qu’est le cerveau qui, sur son homme perché, nous confère la première place à l’échelle des créatures ; et bien sûr nos parents dont nous sommes issus des entrailles et qui inscrivent leurs efforts dans la pérennité parce qu’évitant de réduire l’éducation à la seule instruction.

Les plus hautes autotriés de notre pays saluent ainsi le dévouement des enseignants, prenant en charge nos étudiants, afin de les former sans les conformer, tout en s’attelant à les transformer en vue de la pleine réalisation de soi. Du modèle de comportement qu’ils dégagent résulte l’exemplarité attendue. De leur passion à transmettre résultent la compassion et la générosité permettant l’exploitation maximale des facultés de chacun à dénicher avec patience, méthode, sans humiliation ni dénigrement, notamment pour ceux des apprenants nantis, comme Albert Einstein, d’une intelligence lente quoique profonde. De leur hauteur d’esprit résulte l’abord stoïcien de l’existence et de leur métier, les amenant à se considérer comme des météores, prêts à brûler pour éclairer leur temps, à avoir à l’esprit que les passants que nous sommes, doivent laisser un héritage à la postérité, au moins égal à celui que nous ont légués nos devanciers, à travers le souci de donner le meilleur de nous-mêmes, et l’espoir d’avoir parmi nos apprenants d’aujourd’hui des femmes et des hommes d’une performance meilleure à la nôtre. Telle est la condition du progrès.

Hommage est aussi à rendre à nos apprenants qui ont compris que de cette université et de notre pays peuvent naître des cadres de valeur et des gens d’exception, à travers le goût de l’effort, incarnation contraire de la paresse, permettant de reculer les frontières de l’ignorance et d’augmenter son taux d’utilité sociale ; à travers le courage, intention de l’instant en instance ; à travers l’humilité, aux antipodes de l’orgueil, sève nourricière de la porosité méningée permettant l’efficience du cerveau ; à travers la tempérance, la modération et la retenue que nourrit la prise de conscience en notre ignorance encyclopédique ainsi que du caractère constant de l’inconstance. Nous ne sommes ainsi savants que de la science présente, dirait Montaigne, l’imprimé étant rapidement périmé. De même, la vie et le parcours sont plus souvent sinusoïdaux que linéaires : le parcours comporte des échecs à considérer comme une source d’inspiration, même lorsque survenant au terme d’une forte dose de transpiration. Avoir raté une épreuve n’est pas synonyme d’être un raté. Les auxiliaires avoir et être ont ici tout leur sens, de même que le goût de l’effort et de la répétition. Il y a lieu de rappeler que deux mille essais sont nécessaires au nourrisson pour passer de la station assise à la station debout ; que Démosthène, considéré comme le plus grand orateur de la Grèce antique, a vaincu son bégaiement par des exercices d’élocution menés au bord de la mer, avec des cailloux dans la bouche ; que Christiano Ronaldo fait des centaines d’abdominaux par jour ; que le coup de pied arrêté est la tasse de thé de Messi  à l’entraînement ; que Victor Hugo est resté un bourreau de travail, alors qu’il a composé ses premiers vers avant l’âge de 10 ans ; que la même ardeur est retrouvée chez les auteurs africains classiques, de Chinua Achebe à Amadou Ham pâté Ba, en passant par Alain Mabankou, Cheikh Anta Diop, Cheik Amidou Kane, et Wolé Soyinka.

L’autre hommage mérité a pour cible les parents qui ont eu à cœur leur impérissable devoir et à qui nous devons tout. Depuis notre conception marquée par la fusion des gamètes, fruit du hasard et de la nécessité, jusqu’à l’instant présent, moulé par la stabilité de l’instabilité, ils ont eu à cœur de se sacrifier pour notre vie et notre épanouissement, en réduisant les risques de dérives, en tentant de prévoir l’imprévisible et de faire beaucoup avec un peu, conscients qu’ils sont, qu’on ne naît pas homme mais on le devient, qu’on ne naît pas savant mais on le devient, et que la foi et la détermination permettent de soulever des montagnes, et ce à chacune des cinq étapes de toute vie professionnelle : apprendre à faire, faire, montrer comment faire, faire faire, et laisser faire.

Des efforts de nos parents et de ce qui précède, résulte la pensée devant tarauder notre esprit : celle consistant à chercher constamment à augmenter notre taux d’utilité sociale. L’hygiène préventive du raisonnement doit nous épargner de réduire la finalité au moyen, nous épargner de réduire l’univers à l’université, nous épargner de confondre l’art pour l’art à l’art pour le lard, nous épargner enfin de bâtir une muraille entre l’université et la société qu’elle nourrit et dont elle se nourrit, en imaginant ce à quoi sert le bagage intellectuel acquis ou recherché, afin de le mettre constamment au service du développement. Le Gouvernement est heureux de vous savoir guidés par cette démarche, faisant du cœur et du cerveau rassemblés les deux cotylédons d’une même noix de cola, afin de bâtir une société empreinte d’humanité et d’humanisme, particulièrement en ce troisième millénaire commençant où paraît être éludé le mystère, la science ayant tendance à faire de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes, comme dirait Jean Rostand.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

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